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KEVIN LAURENT

PhOF

Le fleuve est beau, d’en haut. Même dans un studio. Mais seconde après seconde, le niveau monte, remplit le volume, gagne du terrain sur l’oxygène. Alors il faut monter, redoubler d’ingéniosité et utiliser ce qu’on a sous la main pour s’élever avant de se noyer. Ces méthodologies illustrées expliquent de manière ludique comment prendre de la hauteur pour observer le fleuve… mais aussi pour s’en échapper.

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SOUVENIR

Cet après-midi de l’été 2010 avait été particulièrement chaud, c’est pourquoi avec Lise, une amie plus âgée de quatre ans et qui passait toutes ses grandes vacances dans mon petit village de la Côte d’Azur, nous avions décidé d’aller nous baigner. Tous les deux enfants calmes et obéissants, nos parents nous avaient laissés partir seuls, le fleuve n’étant qu’à un petit kilomètre du quartier résidentiel dans lequel je vivais. Cependant, nous avions gardés pour nous notre réel projet ; ne pas prendre le chemin habituel.
Au lieu de suivre la route du pont de pierre jusqu’à la base de canoë-kayak et d’arriver près de l’eau, nous avions remonté le chemin de Montmeuille jusqu’au parc de la Guérinière, dans lequel je faisais de la course d’orientation. C’était d’ailleurs grâce à cette activité que j’avais entendu parler de ce trajet alternatif vers le fleuve. Un trajet plus dangereux, mais tellement plus intéressant pour deux enfants de onze et quinze ans. Après avoir dépassé les limites du parc vers le sud et escaladé une barrière en bois, nous nous étions finalement arrêtés devant un panneau ; « risque de chute mortelle à 5 m ».
Devant nous, le canyon du Loup se dressait, ou plutôt s’affaissait, creusé pendant des milliers d’années par le fleuve éponyme qui donnait aussi son nom à mon village. Nous nous étions assis quelques minutes pour observer ce paysage à couper le souffle. De là-haut, on pouvait entendre le grondement du Loup une soixantaine de mètres plus bas, mais aussi les rires des familles se baignant ou s’amusant sur les berges. Je me souviens de la joie que nous avait procuré la vue du fleuve d’aussi haut, et la hâte que nous avions de le rejoindre. Les regrets, eux, viendraient plus tard.
La descente n’avait évidemment pas été aussi aisée que la première partie du trajet. Lise, plus âgée, plus assurée, ouvrait la marche, trouvait les endroits les plus sûrs où poser le pied. Mais toute la volonté du monde n’est pas suffisante lorsque l’on n’est pas prêts pour une véritable randonnée au bord du vide. En shorts et claquettes, un mètre pouvait nous séparer de la chute quand nous étions chanceux. La plupart du temps, on avançait à flan de falaise, se frayant difficilement un chemin le long de la pierre. Quand les rires et les discussions légères du début avaient été totalement remplacés par le silence de nos mots et le vrombissement du Loup qui était de plus en plus proche, j’avais compris que nous aurions dû prendre la route de d’habitude.
Mais il était trop tard pour faire demi-tour, et à une dizaine de mètres au-dessus du fleuve, Lise finit par trébucher. Sa chaussure droite avait glissé sur un caillou et elle était tombée au sol. Déséquilibrée, son corps avait penché vers la gauche et en moins de deux secondes elle avait disparu de mon champ de vision. J’avais crié son prénom et m’étais agenouillé près du vide. Personne ne m’avait entendu ; le soleil commençait déjà à se coucher et les gens étaient rentrés. J’avais scruté le Loup pendant des secondes sans voir Lise. La magnifique onde bleue transparente s’était transformée en masse noire et avait englouti mon amie. Puis elle était finalement réapparue, trempée et riant à gorge déployée. J’avais ensuite terminé la descente aussi rapidement et prudemment que je pouvais et l’avais rejointe sur la berge. Soulagés, nous nous étions fait la promesse de ne plus jamais prendre ce chemin. Le coucher de soleil donnait une teinte orangée au fleuve.

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